Interview
Chaque création est comme un battement d’ailes : elle m’empêche de tomber.
Cette vidéo a été réalisée dans le cadre du lancement du site internet. Je tiens à remercier Damien vidéaste pour cette vidéo.
Peux tu te présenter ?
Je m’appelle Emmanuel P.iquemal. Mon nom quand je produis, je suis MA.
Je produis des peintures et des argiles modelées.
En général c’est ça, un peu de cordes et de bois également.
Je produis, de manière générale, de façon assez intuitive.
Je ne suis pas guidé par une recherche esthétique, je n’essaie pas d’être réaliste. Le seul indicateur qui me me guide, c’est mon ressenti. Je créé parce que je me sens tendu, pas bien, et quand j’arrête, c’est que je me sens bien.
Il n’y a pas du tout de recherche du beau, comment ça va être perçu.
Comment as tu commencé à créer ?
La première fois que je me suis mis à créer, c’était une période assez horrible, parce que j’étais soumis à énormément de pression, j’étais vraiment compressé, et ça a été vraiment un exutoire pour moi.
Ca faisait des années que je me retenais de créer, et là j’avais vraiment besoin, c’était vital.
Et je me suis aperçu ensuite avec le recul, que deux ans après, j’allais avoir un gros problème dans ma vie personnelle, et c’était les prémisses, je pense, une sorte d’alerte, comme quoi il y avait quelque chose qui n’allait vraiment pas.
« L’homme est un apprenti, la douleur son maître,
et nul ne se connaît tant qu’il n’a pas souffert. »
Alfred de Musset, la nuit d’octobre
Sais tu en avance ce que tu vas créer ?
Alors, je ne sais pas toujours. Il y a des fois, comme pour la sculpture « Temps », là ça a été vraiment fulgurant. Je regardais un documentaire et j’ai vu cette image. Je n’ai pas compris d’où ça venait, je n’ai pas du tout réfléchi, dés qu’on a eu fini le documentaire, je me suis levé, je suis allé prendre l’argile et j’ai modelé.
Et ce n’est qu’après avec le recul que j’ai compris un peu ce que ça représentais pour moi et les préoccupations que j’avais à ce moment là. Ca a été une fulgurance.
Après, il y a d’autres fois où ce sont des choses que je vois, et qui me font du bien de dessiner. Il y a par exemple un visage que je fais tout le temps, j’ignore absoluement pourquoi, mais ça me fait du bien de le dessiner et je sais que tant que je continuerai de le faire, c’est que je ne suis pas encore arrivé à ce qui me convient par rapport à ce visage.
Des fois j’ai juste besoin de créer, je prends mon baton d’argile, j’y vais et je laisse faire, je ne réfléchis pas. Il y a une grande liberté dans ce que je fais.
Quels matérieux utilises tu ? pourquoi ?
La raison principale pour laquelle je vais vers ces matériaux est leur coût peu élevé. Clairement, il y a une question de budget.
Au départ, c’était beaucoup de la peinture, j’utilisais un peu l’encre de chine, mais le budget a vite été une question.
Ensuite, l’argile, je ne l’explique pas. Ca m’est venu une fois, après avoir vu ma compagne travailler cette matière, je me suis dit « pourquoi ne pas essayer ? »
Mais il n’y a pas vraiment de réflexion. Une fois encore, il n’y a pas de but dans ce que je fais, c’est très instinctif.
J’ai découvert dans l’argile un coté manuel, dans la sensation, tactile, quelque chose qui me plait beaucoup. Je suis plus à l’aise dans l’argile pour modeler les choses.
C’est peut être mon métier de base qui fait que je sui à l’aise avec les volumes. Il y a un rapport à la matière aussi, que j’aime beaucoup. A l’odeur, parfois au goût également, quand tu es amené à humidifier tes oeuvres. Tous ces mélanges là de sensations qui me font du bien sur le moment.
Ma ligne directrice quant aux matériaux choisis, c’est à la fois le budget et les sensations que ça m’apporte.
Y a-t-il des émotions ou des blessures que tu transformes en art ?
Ce sont très souvent des choses que je vis, et bien souvent les choses que je vis sont les plus difficiles.
En fait, j’ai un vrai besoin de créer quand je ressens une douleur profonde, et je ressens beaucoup de douleur au quotidien. Je crois que cela se voit dans mes œuvres, surtout dans les sculptures en argile, plus encore que dans les peintures.
On peut vraiment sentir les émotions difficiles que je traverse, et c’est ce qui me guide. Mon travail est avant tout une histoire de tension et de relâchement. La vie m’étire, et je relâche cette tension en créant ces choses.
Pourquoi cela m’apaise-t-il, le fait de le matérialiser ? Je n’en ai absolument aucune idée.
Y a-t-il une œuvre que tu ne voudras jamais vendre ?
Je n’ai jamais voulu ne pas vendre, pas nécessairement. Cependant, il y en a une qui sera particulièrement difficile à vendre : « Time », parce que c’est la plus éblouissante.
C’est celle réalisée pendant le tournage du documentaire. Il y avait une telle clarté dans ce qui en est sorti, et une fois que je me suis assis, que je l’ai vue sèche et installée, c’était tellement évident : ces thèmes-là — le temps, le temps perdu, le temps quand il n’y a plus de vent, etc. — sont des sujets qui me préoccupent profondément.
Je crois donc que, par rapport à cette notion d’éblouissement et à toutes les résonances que cela laisse en moi, cette œuvre est vraiment importante.
Quelles sont les premières réactions des gens lorsqu’ils découvrent ton travail ?
En général, cela leur parle, parce que j’incarne l’émotion. Ce sont des choses que nous avons tous vécues, peut-être pas avec la même intensité ni la même fréquence, mais il y a une forme de reconnaissance de ce qu’ils ont déjà ressenti.
Ensuite, bien sûr, le niveau de douleur que je ressens dans ma vie est très élevé. Cela peut donc être choquant pour certaines personnes, parce qu’il n’y a aucun filtre, rien n’est édulcoré dans ce que je fais. Je crée, je ne réfléchis pas, et c’est tout.
Donc, parfois, la réception est un peu difficile… parce que c’est brut.
Quelle est ta vision du monde ? Et comment cela se manifeste-t-il dans ton travail ?
Je pense que ma vision du monde est très… Nous avons tous nos propres filtres.
Mais très jeune, j’ai vécu des choses très violentes.
À 3 ans, un décès. Vers 7 ou 8 ans, une très mauvaise relation.
Et cela a brisé, je crois, quelque chose en moi.
Ce qui fait que maintenant, presque tout ce que je fais s’accompagne d’un travail sur moi-même,
mais quoi que je fasse, il y a toujours quelque chose de cassé.
Et donc, pour moi, la vie est quelque chose de très difficile.
Elle est douloureuse au quotidien. Il faut beaucoup d’efforts pour continuer à avancer.
Et je pense que c’est justement cela qui transparaît dans ce que je crée.
Mais aussi, ce que je crée me permet de continuer.
Les deux se nourrissent l’un l’autre, comme un cycle.
Je crois que c’est ce double mouvement — ce qui me nourrit et ce qui brille à travers —
qui s’exprime dans mes créations.
Que voudrais-tu que les gens ressentent en accrochant une de tes œuvres chez eux ?
Idéalement, j’aimerais qu’ils ressentent une forme d’apaisement.
Pour moi, c’est vraiment ça : dans ma vie, c’est la quête d’échapper à la souffrance.
C’est un vrai fil conducteur.
C’est le thème de plusieurs de mes travaux depuis 2005,
y compris mes écrits ou mes créations à visée thérapeutique.
Ce que je cherche, c’est cette sensation de calme.
Celui que je ressens quand je crée, ou quand je regarde ce que j’ai produit.
Et si la personne peut ressentir ce calme — peut-être en se disant :
“Je me sens compris.”
ou en reconnaissant une douleur déjà vécue,
ou encore sans savoir pourquoi, simplement parce que “quelque chose parle”…
Alors, c’est gagné.
Mais c’est vraiment ce sentiment-là.
Cette idée de sensation qui guide ma création.
Qui me guide dans le processus, dans ces moments où je suis totalement immergé dans ce que je fais.
Et c’est aussi ce que je recherche pour moi-même.
Et si d’autres peuvent en bénéficier, c’est magnifique.